Le paradis des oiseaux

 

 

                                                          Le nun del leu que tu quesis

                                                          C’est as oiseus li Paraïs.

                                                          Les Voyages merveilleux de

                                                          saint Brandan.

 

 

Quand la nef s’arrêta dans l’anse calme et verte,

Le saint put admirer l’île partout couverte

D’arbres si larges d’ombre et si hauts de sommets

Qu’homme en autres pays n’en vit de tels jamais.

La terre était de fleurs et le ciel de feuillage.

L’azur n’apparaissait dans le vivant treillage

Qu’en joyaux fragmentés de lapis-lazuli.

Les arbres se mouvaient d’oiseaux. Le bengali

Qui prend, pour éclairer son nid, des lucioles ;

Le roitelet qui fait pâques de bestioles ;

L’immense rock qui jeûne en mangeant des dragons ;

L’arabique Phœnix qui n’a pas de seconds ;

Le rossignol, Linus éducateur de l’homme ;

Le perroquet, dernière éloquence de Rome,

Ayant su dire Ave Cæsar aux empereurs ;

Les lyriques ayant mépris des discoureurs ;

L’ulule que Pallas mit sur sa citadelle ;

Le chant fait gazouillis dans les airs, l’hirondelle ;

Le ramier roucoulant de molles raucités ;

Les ermites et ceux qui vivent en cités ;

Le troglodyte heureux d’un antre dans les roches ;

La fringille qui vole aux communautés proches ;

Et les voyageurs, ceux qui, venus du soleil,

Conservent l’Orient sur leur plastron vermeil,

Et ceux qui, poursuivis des neigeuses rafales,

Doublent d’eider moelleux les mantes de leurs fales ;

Tous les oiseaux enfin dont les frères connus

Peuplent Gaule, Erin verte et Thule aux rochers nus,

Étaient là, rappelant en plus noble envergure

Ceux dont ils tiraient nom de taille et de figure.

 

Le saint n’était jamais prompt à s’émerveiller ;

Pourtant il s’étonna. Vers Dieu son conseiller

Il éleva la voix, lui demandant un signe

Et quel était ce monde. Alors, blanc comme un cygne,

Un oiseau, qui semblait le pontife et le chef

Sur tous ses compagnons, descendit vers la nef.

Son vol troubla moins l’air qu’une feuille qui tombe.

Repliant l’aile ainsi que fait une colombe,

Il posa sur le mât, devant les pèlerins,

Les ongles lumineux de ses pieds purpurins

Comme les pieds bénis de saint Calixte à Rome.

 

Et le saint – : Si ce lieu de merveilles te nomme

Créature de Dieu, prends souci de l’émoi

D’un voyageur ; dis-moi quel ce monde ; apprends-moi

Quels de ce vert banquet avec toi les convives,

Car vous semblez, oiseaux, des papegays aux grives,

Avoir avec beauté mélodieuse voix.

 

Et l’oiseau – : Ces milliers de milliers que tu vois

Ailés, chantants, jadis au ciel furent des anges.

Le doute un seul instant suspendit leurs louanges.

Je n’étais que l’un d’eux ; un plus grand parmi nous,

Archange, refusa de plier les genoux

Devant la majesté divine ; le superbe

Contestait la Puissance et discutait le Verbe,

D’autant plus criminel qu’il avait reçu loi

De nous enseigner, maître, avec les chants, la foi.

Nous l’écoutâmes trop, le temps d’une pensée.

Une voix dit : Affirme ; et la bouche insensée

Dit : Non. Nous vîmes choir l’Orgueilleux qui nia.

Dieu, clément mesureur, nous excommunia,

Mais de sa seule vue et du parfait délice.

Sa faveur, modérant l’arrêt sur la malice,

Nous donne ici le past et nous vivons de Lui.

La mense est notre cœur où sa figure a lui.

Les plus punis sont ceux de la terre où vous êtes.

Mourant et renaissant parmi les autres bêtes,

Us jetteront toujours avec leurs notes d’or

Dans vos bois, dans vos champs, un peu du ciel encor

Jusqu’au jour où, plus purs, ils nous reviendront frères.

Beaucoup, libres déjà des rigueurs temporaires,

Parmi les plus parfaits, réjouissent ce lieu,

Miséricorde étant la prime loi de Dieu.

Même les plus mauvais qui vivent de carnage

Comme vous, dans ce monde où tant de meurtre nage

Dans tant de sang versé, devenus de vautours

Colombes, nous diront le noël des retours.

Alors ces arbres-ci qui, de leurs têtes hautes,

Déjà touchent le bleu, s’élargissant pleins d’hôtes,

Et montant, trouveront sur eux le ciel ouvert ;

Leurs dômes serviront aux saints de tapis vert,

Et nous dont le désir suivra l’essor des branches,

Ayant, de vol en vol, repris nos ailes blanches,

Nous rentrerons aussi, disant : Alléluia,

Avec ce beau jardin qui nous purifia,

Dans la grande splendeur pleurée et retrouvée ;

Car l’île que tu vois, de ciel pur abreuvée,

Unique sur la terre, unique entre les eaux,

A nom le paradis terrestre des oiseaux.

 

– Un mot encor, ton nom dans le chœur des louanges ?

– Gloire au Très-Grand, tel est le nom commun des anges.

 

Ayant parlé, l’oiseau remonta vers le bois.

 

Et du pont de la nef, aspirant les hautbois,

Les buisines, frétels et flageolets, les moines

Goûtaient la note à part, les concertos idoines

À faire résonner le jardin tout entier,

Comme un myriachorde immense du psautier.

 

L’accord tomba, cessa ; puis un demi-silence

Fut noté de solos demandant audience

Au ciel couvrant d’azur le crible smaragdin.

 

Quand vint l’heure où le jour décline, un chœur soudain,

Réunissant, du pied des arbres à la cime,

Toutes les voix, un chœur plein, multiple, amplissime,

Immense, tel qu’humaine oreille n’en ouït,

Éclata, s’éleva, remplit et réjouit

Tout ce monde, eau, fleurs, ciel, et la feuille elle-même

Qu’éclairait en dessous, de sa pourpre suprême,

Le soleil descendant. Le chœur prodigieux

Chantait vêpres. Le saint et ses religieux

Dans les tons consacrés aux psaumes répondirent ;

Puis sur le monde heureux les ombres répandirent

Le silence, tandis que le veilleur de nuit,

Un rossignol, notait la minute qui fuit.

 

Quand l’aube réveilla les coqs dans les bruyères.

Les moines et le saint se mirent en prières,

Et sans faute aux versets du chant matutinal

Répliquaient les oiseaux, suivant le diurnal.

 

 

Février 1882.

 

 

Ernest PRAROND.

 

Paru dans La Jeune France en 1882.

 

 

 

 

 

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