La douleur propitiatoire

 

(Journal d’un ami.)

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

J. de STRAILHE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il nous est bon d’avoir quelquefois des peines et des traverses, parce que souvent elles rappellent l’homme à son cœur et lui font sentir qu’il est en exil et qu’il ne doit mettre son espérance dans aucune chose du monde.

(Imitation de Jésus-Christ. LIVRE I, CH. XII.

Traduction de LAMENNAIS.)

 

 

I

 

LES heures tombent sur mon âme meurtrie comme autant de pelletées de terre sur un cercueil.

Qui me restituera à ma volonté ?... J’étouffe de rage impuissante. Le blasphème est dans ma gorge. Qu’est-ce donc qui l’arrête sur mes lèvres ?

Celle que j’aimais m’a trahi. Sans pitié pour mon amour qui pleurait vers elle, qui pour elle eut sacrifié tous les désirs, tous les orgueils en un joyeux holocauste, elle a fui vers toi, Christ des cloîtres implacables. C’est pour toi – ô la vision odieuse ! – que ses yeux s’illuminent aujourd’hui d’extase et que son cœur se pâme dans la volupté d’un sacrifice absurde...

Ah ! Seigneur, vous savez que, moi aussi, je vous aime. Cent fois relaps dans ma chair et dans mon esprit, je n’ai cessé de vous garder, au fond de moi-même, un coin d’adoration soumise, – comme en la cathédrale toute envahie d’ombre nocturne, une lampe vacillante – mais jamais éteinte – témoigne de la présence eucharistique du Dieu vivant.... Les émotions d’une pieuse enfance renaissant en ardentes exaltations jusqu’au milieu des angoisses du péché, – cette orientation de mon âme vers Vous, – quelque bien accompli en votre Nom, – tout cela fait de moi votre féal et votre enfant.

Mais, à cette heure, ô Christ, je sens d’affreuses malédictions déchirer mon âme... C’est Toi, Toi seul qui me l’as prise, par le vain prétexte d’un renoncement aux joies du monde et d’une voie plus méritoire vers le salut.... Toi, le seul contre qui je ne pouvais me défendre, à qui je ne la puis disputer... Que ne me la laissais-tu ? Ne se fût-elle pas sauvée aussi en me sauvant moi-même ? Tout ce que tu as mis de bon en moi, elle l’eût dégagé des fanges de la vie. À deux, la main dans la main, nous nous serions acheminés vers Toi, vers ton ciel, où elle eût, quand même, été tienne, – plus sainte encore d’avoir franchi les difficultés et les périls qui sont la loi de tes créatures. Tu fus injuste et cruel en ne prémunissant point son âme naïve et trop ductile contre ces influences et ces inconscients mensonges qui violent la nature. Voici que tu m’abandonnes à tous les orages sans le guide que j’espérais mien, qui devait être mien, qui était fait pour l’être, qui l’eût été, – car elle m’eût aimé, elle aussi. Et tu es venu comme un voleur...

Oh ! mon Dieu, apaise mon âme en furie... Rends le calme à mon sang qui bout... Pardonne-moi ces colères, ces mâles envies, ces rages... Tu es Dieu, je le sais, et je ne suis qu’un chétif insecte, et je te dois tout, jusqu’à l’amertume de l’avoir connue. Aie pitié de moi, mon Dieu ! Si tu m’abandonnes, que vais-je devenir ?

Ce matin, tandis que je cheminais à l’aventure par les rues hostiles, la pensée du suicide s’insinuait en moi : mettre fin à ces crises de larmes, à ces ouragans de désespoir déchaînés en mon pauvre esprit... Elle me reviendra, cette pensée, je le sens... ou d’autres : la mort lâche ou la vie lâche, – la débauche, l’anarchie du cœur et de la raison. Reviens, mon Dieu ! pour me défendre. Il t’a plu de me ravir celle que je rêvais pour compagne, – la douce et belle compagne qu’elle eût été !... Mais ne m’abandonne pas tout entier...

C’est à elle qu’il faut en vouloir, à sa cruauté inconsciente et obstinée... Mon amour n’était-il pas dans mes yeux, sur mes lèvres comme en mon âme ? Quand je lui disais mes goûts et mes rêves, – qu’elle me disait les siens, – ils étaient tous les mêmes, – n’a-t-elle donc point compris que c’était à elle l’offre de tout ce que je suis. Alors, tandis que j’hésitais devant la brutalité d’un aveu superflu, cet arrêt inattendu révélé par le hasard... Pour mon balbutiement, pour les larmes qui éclataient sous ma paupière, pour cette ouverture éperdue de mon âme, elle n’eut qu’un doux sourire déjà absent de moi... Ah ! j’aurais dû, en dépit de tous, l’arracher à son rêve d’enfant, la presser contre ce cœur dont le contact lui eut parlé. Elle aurait compris, peut-être...

Est-ce que je l’aime ? est-ce que je la hais maintenant ?

Avant de te connaître, ô vierge, je t’aimais... Ils étaient pour toi, ces élans que traduisirent mes poèmes, et quand tu m’apparus, au milieu du cortège des passantes, j’allai de suite à toi sans hésiter... Tu fus plus perfide que celles qui trompent, qui mentent ou qui tuent... Tu m’as désespéré... et – c’est ceci l’épouvantable ! – j’espère encore... Car tu n’es pas morte, ne le pense pas... Et malgré moi – ô la mauvaise pensée obstinée ! – j’espère en ta douleur pour expier la mienne.

J’évoque ton regard pur et ta voix aimée... J’attends, je ne sais quoi ? une apparition, un dernier adieu, qui ne vient pas, qui ne viendra pas... Puis je pleure comme un enfant, – d’un chagrin qui déborde, – et cet absurde travail d’écrire auquel je m’astreins maintenant pour ne pas me rouler à terre dans les sanglots, m’apparaît comme une profanation, comme la violation d’un tombeau.

Le verbe n’est point fait pour exprimer de telles tortures, et tous les cris de passion douloureuse, dont les poètes m’ont ému jadis, ne sont rien auprès d’elles.

Je vais aller à la dérive... Elle est éteinte, la flamme de la foi, du travail, de l’enthousiasme... Tout m’abandonne, puisque je vous perds tous deux ensemble : toi, mon Dieu, – et toi, mon aimée...

 

 

II

 

E voudrais être seul, tout seul, – et ne puis.

Je voudrais amputer tout souvenir, – et pour m’affranchir des obstinations de mon âme,– me livrer tout entier aux choses extérieures.

Mais il n’y a pas de solitude. L’heure présente n’est qu’un mensonge... Elle n’est qu’un reflet de hier, si elle n’est point l’aurore de demain...

Peut-être existe-t-il des âmes chiffonnées, que leur souplesse dérobe à la Douleur. On dit que les mondains, en se créant sur les choses un point de vue stable et impersonnel, ne se revoient pas dans le passé, non plus qu’ils ne s’imaginent dans l’avenir.

On dit encore qu’en ces temps lointains dont j’ai la nostalgie, la hiérarchie de fer qui enchaînait chaque homme à sa place octroyait aux âmes, en échange d’une liberté vinculée, le calme d’une résignation fataliste.

Où est cette immuabilité ? Où donc sont-ils, pour écarter ou adoucir la souffrance, ces amis forts et tendres, comme on dit qu’il en a existé autrefois ?

Nous coudoyons des amis, entraînés avec nous dans un même courant... Mais ne sont-ils pas aussi nécessiteux que nous-mêmes ? Ne s’en vont-ils pas dans la vie, mendiant comme nous des consolations, ne recevant comme nous que l’indifférence ?

Il me semble pourtant qu’un décor plus agité m’absorberait un peu, – ou qu’un décor plus calme m’assoupirait un peu.

La nuit tombe. Triste et noire, elle succède au jour triste et gris... Il pleut lamentablement.

 

            Pour un cœur qui s’ennuie,

            Ô le chant de la pluie !

 

Des ondes soudaines crèvent dans une clameur du fleuve débordé. Des coups de vent roulent, s’abattent avec un acharnement de vagues énormes... Quels sont ces cris déchirants comme des râles ?... On dirait des sirènes en mer.

Les flammèches des réverbères font, aux murs, des plaques de lumière honteuse... Ici, dans ma retraite familière, la lueur des lampes m’est mystérieuse, tamisée par ces grands abat-jour aux nuances d’opale... Des rayons traîtres griffent les luisures de mes livres... Les vieux portraits s’éveillent dans la nuit.... Le regard de ces magistrats emperruqués et de ces jolies bourgeoises prend une fixité singulièrement troublante... Et du haut de la tapisserie imagée, une femme allégorique me contemple avec un grave et lointain sourire...

La pensée d’elle, – de l’aimée qui me tue, – est là, cachée dans l’ombre... Je la sens... mais je ne veux pas la voir, je ne veux pas...

Il ne faut plus penser à rien.

De lassitude je suis tombé sur mon divan.

Je m’efforce de laisser défiler mes pensées devant mon imagination comme des étrangères. Parfois, j’y réussis. C’est alors en moi comme quelque chose qui se détache et s’amoncelle lentement. Il me semble que j’entends, dans ma prostration, la chute de mes pensées. Une à une, elles choient de très haut, en tombée lente, comme des feuilles que le vent soupèse un peu, puis qui tombent dans l’étang, – y surnagent, puis peu à peu se détrempent, s’alourdissent et s’enfoncent dans l’eau claire. La chute morte et légère de ces pensées ne pèse plus rien de ce qu’elles voulurent vivre.

Mais cette demi-solitude est brève, et s’enfuit à l’assaut des cauchemars.

La nature se brouille alors à mes sens... Les couleurs sombres qui m’entourent se décomposent en leurs complémentaires et dansent un ballet fou devant mes pupilles éblouies – un ballet m’enserrant d’écharpes rouges, jaunes, bleues, or, que l’obstination de mes doigts ramant à l’air tente en vain d’écarter.

Ou bien, ce sont des monstres qui surgissent perfidement des ténèbres de mon rêve. Mon cœur est emmaillotté dans une prison de fils blancs et visqueux. Les araignées des bois aux ampoules phosphorescentes fondent sur moi de tous les coins de la voûte... Le long des mares où tremblent les grandes araignées d’eau, je suis entraîné dans les rondes vertigineuses que dansent les tarentules. Et je défaille enfin, épuisé par la blessure de ma poitrine où Arachné fouille sans cesse de ses lèvres pointues.

Ainsi la Douleur se joue de sa proie. Elle la mord et la déchire. Puis pateline et patiente, elle endort mon cœur dans une dérisoire quiétude pour aviver la sensibilité de son hochet et ne point tarir en une fois son plaisir cruel.

Et voilà des jours et des mois que je souffre ainsi, l’âme saignante, à l’insu de tous, car la vie ordonne de sourire.

 

 

III

 

HIER, à la vesprée, quel instinct m’a conduit dans cette chapelle inconnue ?

La porte sourde s’est ouverte devant moi, comme si elle m’attendait et je suis resté longtemps dans les ténèbres, plus sombre qu’elles.

Le chœur seul était éclairé. Des herses de cierges et quelques lampes sacrées projetaient leurs larmes fulgurantes sur l’autel diadémé et sur des vitraux aux velours profonds.

Des moines, tout en blanc, chantaient Nocturnes.

De ce plain-chant sévère comme l’harmonie de l’Océan, s’imposait pour moi une sorte d’apaisement physique, auquel contribuait sans doute l’austérité du décor.

Je me suis agenouillé sur un banc qui se trouvait là à l’usage des pauvres ou des enfants. Et, – pour la première fois depuis de longs jours, – j’ai trouvé un peu de calme...

Ces vagues de louanges venaient jusqu’à moi, déferlant de l’autre extrémité de l’édifice. Avec elles, ma rêverie flottait et montait peu à peu dans la nef... Sans cesse mourante et renaissante, tour à tour navrante et triomphale, cette psalmodie était comme le flux et le reflux d’une marée palpitante qui, de terre, m’enlevait vers l’infini.

L’extase a cessé en même temps que le chant lui-même, dont la cadence s’éloignait enfin, dans les profondeurs du cloître, avec le cortège des religieux impassibles.

Alors, j’ai songé : à ces hommes qui souffraient volontairement pour d’autres, à ces intercesseurs debout au milieu des villes accroupies dans le péché, ainsi que des tours vigilantes destinées à détourner les colères du Ciel, à cette vaillante armée de la Prière et de la Contemplation, – à elle.

 

 

IV

 

UNE fièvre très grave et très longue a failli m’achever.

J’ai passé quinze jours dans l’inconscience et le délire.

On me dit que je suis sauvé maintenant.... La souffrance physique est réduite, en effet, à une faiblesse extrême et à des lançures intermittentes que je ressens dans le haut de la tête.

C’est déjà la convalescence.

Ma pensée est paresseuse. Peu à peu, elle s’est immobilisée. Elle stagne comme un liquide en un vase incolore. Mais si quelque cause inconnue vient me rappeler ma peine, une lente effervescence se produit en ma pensée. Bientôt, semblables à ces longues aiguilles qui prennent naissance au sein des solutions cristallisées, apparaissent quelques idées tenues, quelques réflexions imprécises.

 

            Mille clochettes, en mon cœur,

            Tintent très douces, en sourdine...

 

Que c’est étrange ! la Douleur m’est devenue maintenant comme une chose très ancienne et moins cruelle. Mon âme est habituée à cette compagne mauvaise. Elle a tant souffert, tant ! qu’elle ne sait plus pourquoi elle souffre.

Cette convalescence coïncide par hasard avec le printemps de l’année.

J’ai parfois des heures bienveillantes. Le matin surtout. La ville, à peine éveillée, m’envoie d’en bas une rumeur de vie. Le soleil se glisse jusqu’à mon alcôve. J’ai vu entrer ses rayons et je les sens venir à moi d’une approche caressante et je me livre délicieusement à cette étreinte...

Je l’évoque, dans ces premiers rayons, elle, l’aimée aux beaux yeux de lumière. Qui redit à mon oreille son nom, – ce nom qui me ravit comme le murmure d’une fontaine ?

Vas-tu disjoindre l’oppressive dalle du passé, ô toi que j’ai perdue, toi qui, étant plus que la vie, ne peut plus être possédée que dans la mort ?

Elle vient... Je revois l’ondulation de ses cheveux et son affectueux regard... Elle parle... La lenteur douce de sa voix semble s’éloigner à la distance d’un songe, – si basse et si lointaine qu’elle paraît venir d’une autre rive ou de l’autre versant de la destinée... Elle parle, de cette voix ancienne, si basse que je l’entends à peine, si bas que je ne l’entendrai sans doute jamais plus... Elle me dit qu’elle m’aime bien aussi et que nos voies sont différentes depuis qu’une vision interposée entre nous lui a ordonné un amour sans partage, – qu’elle ne s’appartient plus, – qu’elle prie pour moi...

Je la contemple avec mélancolie et tendresse, – et il me semble qu’elle soutient ma tête endolorie et brûlante de ses mains pieuses...

Incline-toi, mon âme, devant l’irrévocable !

 

 

V

 

ME voici à la campagne.

C’est un pays très solitaire, dont ma pensée, hier encore nonchalante, a revêtu tout de suite l’uniforme grandeur.

Çà et là, au milieu des landes coupées de marécages et de forêts, on trouve des villages moribonds dont les masures lézardées s’écroulent peu à peu sans une plainte. Tous les chemins se perdent en sentiers, hésitent et disparaissent bientôt. Les moissons sont rares. Elles dessinent une ceinture jaunissante au fleuve à demi ensablé.

Ce pays est austère et sauvage.

Je sors à cheval dès l’aube. Le soleil blafard s’étire en longs rayons, criblant les fumeuses buées du brouillard.

Parmi les odeurs de bruyères et de menthes, parmi le blanc des fils cotonneux qui voltigent dans l’air, je me laisse bercer à l’allure mollement cadencée du petit cheval roux.

Quand je sens les souvenirs m’envahir, j’excite ma bête surprise et la lance à toute allure à travers la plaine violette.

Ces réactions m’enivrent d’une énergie que j’avais perdue.

Dans cette course furieuse, je devine l’essor, de mon âme, trop longtemps abattue, vers un inconnu meilleur où sont les réserves de ma nature. C’est ainsi qu’aux fraîches années d’adolescence, mes premières sèves aspiraient à toutes les conquêtes.

Le midi me ramène, tout exubérant de force, dans la vallée où vibre le soleil. Mon cœur a des velléités guerrières. Je vois briller des cuirasses d’or et j’entends les rauques appels des trompettes qui entonnent la gloire...

Que s’est-il produit en moi ? Je me sens invigoré d’une foi irrésistible.

Une fleur mystérieuse est-elle éclose, un sentiment nouveau s’est-il épanoui dans mon âme ?

À surmonter l’épreuve de la Douleur, me suis-je reconquis ?

 

            La Douleur élargit les âmes qu’elle fend...

 

De cette fumée qui m’étouffait, est née une flamme claire et joyeuse.

J’irai vers la vie qui me sollicite, – vers les impérieux combats qui me réclament.

 

 

VI

 

JE t’ai comprise enfin, Douleur trois fois sainte, – et je t’aime !

Car nous te connaissons si peu et si mal...

Tu nous surprends toujours comme une étrangère dont nous ignorons la figure et la voix.

Et, cependant, Dieu t’a faite le patrimoine commun de l’humanité. Et ton domaine est aussi vaste que la vie.

Attendre, c’est souffrir.

Espérer, c’est souffrir.

Perdre, c’est souffrir.

Aimer, c’est souffrir.

Obtenir même, c’est souffrir encore.

À côté des infortunes violentes et tragiques qui éclatent aux yeux, combien d’autres plus modestes, qui se voilent parfois d’une apparente sérénité ?

Il est des destinées silencieuses, étouffées, où le malheur est si secret et si égal dans sa continuité qu’on ne s’avise pas de le plaindre.

Songe à ces cœurs inquiets et solitaires, avides de se donner et que personne n’a voulu prendre, qui ont prodigué des trésors inaperçus et stériles, et que la mort emporte, extérieurement intacts, mais déchirés en dedans, car ils se sont dévorés eux-mêmes.

Songe à l’héroïque combat des humbles contre le sort, aux angoisses de la misère honteuse, aux malechances qui brisent l’élan du Génie.

C’est un pauvre père qui lutte pour les siens, – c’est une créature aimante toujours inexaucée, – c’est l’artiste éternellement déçu, poussé par des générations nouvelles, doutant de lui-même, et qui voit la barque de sa fortune s’effacer à l’horizon sans avoir abordé nulle part et se perdre dans l’immensité, le nombre et l’oubli...

Nous te méconnaissons, Douleur, et nous te haïssons !

L’homme écarte de son langage jusqu’à l’ombre de ton nom. Et toute la philosophie des sages du monde, habiles à comprendre les causes et à les définir, se borne à t’oublier ou à te fuir, ne trouvant contre toi d’autre remède que la mort.

Se tuer pour ne pas souffrir, n’est-ce point aussi logique, – et aussi affreux, – que de vivre pour jouir ?

Ceux-là seuls qui t’ont vue sur le Calvaire adorent ta sanctifiante beauté.

Sois bénie, toi qui épures le cœur comme la flamme chasse la fumée de l’âtre.

Toi qui donnes le sens juste des êtres et des choses, en nous soustrayant aux prestiges du mal.

Toi qui abats l’orgueil et nous fais sensibles aux souffrances des autres.

Toi qui marques l’étiage de l’âme en mettant en relief la fierté de son courage.

Tu fus vraiment salvatrice pour l’un des plus fragiles enfants de ce siècle.

Tout ce côté imaginatif de moi-même que j’avais cultivé imprudemment, dans l’obsession de mes vices d’orgueil et de volupté, me rendait plus sensible à ta morsure austère... Ces chimères, qui paraient mes volontés comme autant de fleurs trompeuses, émoussaient ma résistance.

Dans la sphère de l’énergie, toute concession au rêve est une invitation à laquelle tu réponds bientôt.

J’ai souffert plus qu’un autre, dans le creuset où tu m’as plongé, mais j’en suis sorti meilleur et plus fort.

Et le sens m’est apparu de ces paroles de l’Ecclésiaste :

« La fournaise éprouve le vase du potier, et l’épreuve de l’adversité les hommes justes. »

 

 

J. de STRAILHE.

 

Paru dans Durendal en 1894.

 

 

 

 

 

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